Conférence de Michel ZINK à Hoche le 2 décembre 2015 – Bienvenue au Moyen Âge : s’évader et se retrouver.

Michel ZINK, ancien du Lycée du Parc à Lyon et père de trois anciens de Hoche, passé par l’ENS Lettres, est Professeur au Collège de France, Membre de l’Institut et Secrétaire Perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Philologue de la littérature médiévale, qui est riche en légendes, récits, poèmes, il lui a consacré la plus grande partie de sa vie professionnelle, et en a tiré pour le grand public des chroniques régulières sur France Inter, résumées en librairie sous le titre « Bienvenue au Moyen Âge «. Le 2 décembre 2015, il nous a entretenus, de manière détendue, amusée et brillante, du Moyen Âge, en particulier de la poésie crée et diffusée par les troubadours.

L’assistance réunissait des dizaines d’anciens professeurs, d’anciens élèves, de parents d’anciens et d’élèves du Lycée ; nous avons tous été entraînés par Michel ZINK, et comme le titre de la conférence nous y invitait, nous nous sommes ainsi évadés de nos soucis courants et avons retrouvé des racines anciennes.
On identifie spontanément le Moyen Âge plutôt à des siècles de malheurs, d’atrocités et d’obscurantisme, mais au fond nous sommes aussi sensibles à sa spiritualité et sa poésie ; nous lui devons beaucoup de légendes et de poèmes, et il a exprimé et inspiré largement nos sentiments d’amour. Revisitons le donc ! Certes tout un travail d’érudition est nécessaire pour comprendre et apprécier ces textes, mais on est récompensé en retour par la découverte de leur sens et de leur valeur : c’est l’expérience que M. ZINK a vécue dans son métier de philologue et nous a communiquée.

1. Définition et caractéristiques du Moyen Âge littéraire

Le terme de Moyen Âge, c’est-à-dire « âge moyen«, créé au XVIème siècle, et le caractère temporel de sa définition – de la chute de l’Empire romain d’Occident à la renaissance des lettres – sont peu satisfaisants pour l’esprit. En effet, la fin du Moyen Âge aurait été mieux définie par un événement précis (la découverte de l’Amérique, 1492), et cette renaissance des lettres a trop varié d’un pays à l’autre, avec plus d’un siècle d’écart entre la France et l’Italie, pour constituer une date précise.

Cependant, une caractéristique/majeure du Moyen Âge est l’apparition rapide de nos langues romanes (français, italien, langue d’oc) et l’essor corrélatif de notre littérature nationale, dans le contexte de perte d’audience et de morcellement du latin (qui jusque-là constituait la langue officielle et uniforme). Les clercs, jusque-là détenteurs presque uniques des savoirs, ont accompagné et vite soutenu officiellement (au Concile de Tours en 813) la montée de ces langues populaires. Ces textes postérieurs au latin (qui servait de langue unique) ont été tout d’abord religieux, puis littéraires, dès le XIème siècle ; leur forme a privilégié la prose puis les poèmes. La floraison des meilleurs de ces textes, religieux et profanes, est passée à la postérité car elle exprime des sentiments profondément humains et éternels. Parmi eux, le thème de l’amour est dominant.

2. Le thème de l’amour au Moyen-âge

C’est au Moyen Âge que l’amour est devenu la grande affaire de la poésie ; jusque-là, sous l’influence de la poésie antique, les grands thèmes étaient la guerre et les aventures, inspirés notamment par l’Iliade et l’Odyssée. Alors que le Moyen-âge souhaitait prolonger le monde romain, il a choisi cette rupture de thèmes, sous l’effet des deux causes suivantes :

  • la forte influence de la christianisation : alors même que la poésie semble initialement s’opposer aux règles de l’Eglise (poète signifiant initialement païen), le Christ, Dieu incarné, crée et apporte à l’humanité la religion de l’amour;
  • l’amour et l’angoisse ont été alors perçus comme les sentiments fondamentaux, et ont surgi au premier rang des sources d’inspiration des poètes.

Ce sont d’abord les troubadours des XIème et XIIème siècles qui ont développé cette poésie de l’amour, l’ont propagée de château en château, et entretenue par des émulations organisées entre eux ; son thème essentiel est que l’amour constitue un désir à la fois exaltant et douloureux, et que son assouvissement se produit dans la mort. Cette contradiction et cette tristesse intrinsèques à l’amour ont entrainé, sur le plan de la forme, un langage aux sons rugueux, presque douloureux, traduisant la tension interne et le malheur ; pour bien exprimer l’amour, le style du texte devait donc être torturé, destructeur et hermétique, aux antipodes des recommandations (ultérieures) de Malherbe.
Beaucoup de ces poèmes commencent par l’évocation de la Nature, de manière très différente de la nôtre, post romantique : le troubadour ne s’intéresse pas au paysage, mais se concentre sur un contact primaire avec une saison, une fleur, ou un cours d’eau, et y retrouve des impressions intimes, souvent celle de la fragilité de l’amour.

3. Les évolutions des poésies

Le long travail du philologue du Moyen Âge met en évidence une longue évolution de l’ensemble de ces poésies, du XIème au XIVème siècle, illustrée par les œuvres de Guillaume de Ventadour à Dante.

Au XIIème siècle, marqué par l’influence austère assez lourde des cisterciens, Guillaume de Ventadour célèbre la nature hivernale rugueuse, et son angoisse éclate quand il évoque l’Amour-Eros, en transgressant de fait les formes littéraires autorisées.

Ensuite, le savoir et l’expression s’organisent progressivement et la poésie s’intellectualise, et aboutissent au Roman de la Rose, chef d’œuvre du XIIIème, allégorique et didactique, qui célèbre avec élégance la nature, en particulier les roses, et l’art d’aimer (20 000 vers).

Enfin, le cheminement culmine dans les œuvres de l’immortel Dante, auteur des célèbres sonnets inspirées par sa passion pour Béatrice, de la Vita Nuova et de la Divine comédie. Il célèbre, au début de ces œuvres, la découverte de l’amour jeune, puis évolue vers celle de la passion amoureuse, s’élève ensuite à la réflexion philosophique, et enfin arrive au plus haut degré d’épuration et au divin.

En ces jours de décembre, les moins lumineux de l’année, nous avons pu revivre, grâce au contenu de cette conférence, les sentiments d’un autre grand auteur du Moyen Âge, le poète Charles d’Orléans (1394 – 1465) : d’abord sa tristesse
Yver, vous n’estes qu’un vilain.
puissa certitude du retour du printemps et de ses joies :

Les fourriers d’Eté sont venus
……………………………….
Pour appareiller son logis,
Allez-vous en, prenez pays,
Et ont fait tendre ses tapis
Hiver vous ne demeurez plus
De fleurs et verdure tissus.
Les fourriers d’Eté sont venus !

 

 

Merci au Professeur ZINK de nous avoir conduit dans l’évasion, hors de nos soucis courants, et de nous avoir fait retrouver les beautés éternelles des poésies médiévales !

Vincent BOURGERIE, Vice-président de l’Association des Anciens de Hoche

 
 
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