Chronique d’un monde disparu : Le lycée Hoche de Versailles

gilbert-guislain

La genèse du projet

Au cours de plusieurs réunions tenues au lycée en 2005 et en 2006 (janvier, mars 2005, 3 décembre 2005, 21 janvier 2006, 20 février 2006), il a été décidé par le comité pour le bicentenaire du lycée de constituer un travail de mémoire sur les décennies du XXème siècle.

Au début des années 2000, une exposition sur le lycée, présentée en particulier à l’Université inter âges, avait relancé l’intérêt pour le lycée. Vinrent ensuite les contributions les plus décisives sur le sujet. D’une part, une vingtaine de pages de Michel Kotelnikoff, professeur retraité de SVT et lui-même ancien élève du lycée qu’il fréquenta longuement de 1943 à 1956. Le bulletin L’Ancien de Hoche publia quelques extraits de ces pages (numéro 15 de mai 2005, numéro 13 de février 2004, numéro 12 d’octobre 2003). Rappelons également la visite guidée du 6 novembre 2004 et l’important mémoire de Sabrina Hamadouche, sous la direction de Jean-Yves Mollier, soutenu à l’Université de Versailles, Saint-Quentin en Yvelines, à l’UFR de Sciences sociales et des humanités, département d’Histoire. Quant à l’étude qui va suivre, elle est destinée à l’ouvrage réalisé pour le bicentenaire, par Madame Mercier, professeur honoraire au Lycée.

Le mémoire de Sabrina Hamadouche restitue l’évolution du lycée dans le cadre de celle de l’enseignement français tout au long du XIXème siècle. La brochure Le Lycée Hoche d’un siècle à l’autre, accompagnant l’exposition de 2001, présente ces grands traits. Au couvent de Richard Mique, (1766) où l’on retrouve l’influence de Palladio, succède en 1806 le lycée impérial. L’Université impériale a pour objectif de concurrencer les écoles confessionnelles et les lycées de remplacer les collèges d’Ancien Régime et les anciennes écoles centrales. Il s’agit de former de futurs fonctionnaires et militaires, des cadres et des administrateurs pour la France nouvelle, dégagée à la fois de la Révolution et de la monarchie. Le Lycée est inauguré le 1er mai 1807. Sept professeurs y exercent et cent cinquante élèves y étudient. Les études comprennent les Lettres, le latin, les mathématiques, le dessin et les arts, sans oublier l’exercice militaire. Proviseur, censeur, économe, surveillant général et surveillants, ainsi que les maîtres d’étude, forment la hiérarchie du lycée et contribuent à l’encadrement. Le lycée compte près de cinq cents élèves au milieu du siècle, dont une majorité d’internes, et huit cents en 1907, l’année du centenaire, fêté le 16 mai 1907. Il est situé au sommet de la hiérarchie des lycées. Il serait fastidieux d’établir une liste, une nécrologie des proviseurs, de notre auguste établissement, mais il faut citer le premier : Thiébaut, puis Lacroix en 1815, Dubuel (1817-1824), Perrin (1824), Auger (1826), Carbon jusqu’en 1831, Augustin Thierry de 1831 à 1844, qui crée la cour d’honneur, les divers espaces du lycée, la salle des actes où se tient la distribution des prix, et surtout les classes préparatoires. Après 1850 : Jaunet, Souveroche, Baric qui instaure au lycée des réunions mondaines, Didier, Fleury, de Joguet et Denis jusqu’en 1871. Une commission administrative, organe de direction du lycée, comprend alors l’Inspecteur d’Académie, un conseiller de Préfecture, le maire de Versailles, le curé de Montreuil, un magistrat, deux notables ainsi que le Proviseur.

L’enseignement est majoritairement littéraire puisqu’il comprend deux ans de grammaire, deux années d’humanités suivies de la classe de rhétorique, l’actuelle classe de première. Au milieu du siècle, l’emploi du temps comprend une petite vingtaine d’heures de cours en voie littéraire (quinze heures de français-latin-grec, trois heures d’Histoire-géo, deux heures de LV), comme en voie scientifique (sept heures de français-latin, six heures de Maths, trois heures d’Histoire-géo, deux heures de LV), la réforme de 1902 crée quatre voies : latin-grec, latin-langues, latin-sciences et « moderne » : sciences et langues, l’ensemble dans l’esprit positiviste du temps.

La journée type commence à cinq heures trente jusqu’à vingt et une heures, heure du coucher. La rigueur des conditions de vie des élèves, toute militaire sous l’Empire, est atténuée sous la monarchie restaurée. Le lycée comporte des cachots comme au collège des Oratoriens de Vendôme où Balzac fit ses études. Les vacances durent du 19 août au 7 octobre. Les élèves portent un uniforme bleu foncé à boutons et les professeurs l’habit noir à collet vert, une cravate blanche et un bicorne. Il est indispensable de remarquer que chaque jour, l’élève passe environ quatre heures en cours et cinq heures en étude surveillée : il s’agit de ménager un temps de travail personnel et de mener de nombreux travaux écrits, en particulier dans le domaine du discours français, latin et grec. Le système éducatif entend alors préparer de futurs notables à leur futur rôle. Le discours est un travail d’écriture, d’invention tout à fait rhétorique et formalisé, du type :Maxime s’efforce de convaincre Dioclétien de renoncer au pouvoir, ou bien de le conserver… Mais en 1902, le discours perd son hégémonie au profit de la dissertation et de la traditionnelle explication de texte. Au XIXème siècle, le lycée est un établissement prestigieux dans cette « capitale de rechange » qu’est Versailles, ni tout à fait parisienne ni tout à fait provinciale ; point de passage souvent habituel avant la dernière mutation d’un professeur à Paris. Il s’efforce d’attirer les grands noms de l’enseignement secondaire. Il concurrence les écoles confessionnelles comme Saint-Jean de Béthune, fondé par les Eudistes en 1878, qui compte trois cent trente élèves en 1900, alors que Sainte-Geneviève, transférée à Versailles en 1913, dénombre trois cent soixante quinze internes. Versailles compte aussi des pensions libres, développées à la faveur de la loi Falloux de 1850, et la France quelques établissements privés à vocation moderne comme l’Ecole des Roches, fondée à la fin du siècle par des pédagogues comme Demolins, aux méthodes anglo-saxonnes, pour former le caractère et l’esprit d’entreprise, hors du modèle napoléonien . Quant au collège Sainte-Barbe à Paris, qui se veut moderne et humaniste, il compte mille trois cents élèves, et il connaîtra presque encore ce même effectif après 1968, jusqu’à sa fermeture en 1998.

Au XIXème siècle, l’esprit du lycée est plutôt libéral, voire « progressiste », Versailles ne devenant une ville conservatrice qu’après les années 1880. C’est en 1988 qu’il prend le nom de Hoche après avoir été impérial, royal, national et de nouveau impérial. La référence à Hoche tend à « républicaniser » Versailles. L’engagement politique des élèves s’exprime déjà au moment de la Révolution de 1830 ; le rôle du libéralisme, du relativisme de Victor Cousin influence l’enseignement dans la période suivante.

Tels sont les traits les plus intéressants de ce passionnant mémoire de maîtrise de Sabrina Hamadouche, que quelques lectures relatives à l’histoire de l’enseignement peuvent compléter. Henri Duhaut, Le Lycée de Versailles 1815-1870, Gerbod, La Vie quotidienne dans les lycées et les collèges au XIXème siècle, Vincent Troger, Histoire du système éducatif (PUF, Que sais-je ?), Paul Aron, L’Enseignement littéraire (PUF, Que sais-je ?), sans oublier par exemple, pour l’histoire du genre de la dissertation : Luc Ferry, Philosopher à 18 ans, Grasset.

Les souvenirs de Michel Kotelnikoff : le Versailles des derniers tramways

Les textes de Michel Kotelnikoff passés dans L’Ancien de Hoche comme ses quinze pages inédites révèlent un souci très pertinent de l’histoire à la fois pédagogique et sociale du lycée, un intérêt porté aux générations qu’il a marquées. Michel Kotelnikoff fut élève du lycée de 1943 à 1956, il a donc connu le petit lycée édifié dès 1862, à proximité du boulevard de la Reine, et doté d’un jardin d’hiver. Il évoque les salles de l’ancien couvent : dortoirs, réfectoire, ainsi que les locaux tels que les salles des science et un vieux gymnase. Nous reviendrons sur les évolutions architecturales du lycée au début de l’étude des années 1964-1971. Michel Kotelnikoff évoque surtout ses professeurs : René Château en philosophie (1906-1970), ancien élève de l’ENS Ulm et engagé dans la gauche pacifiste dans les années 1939-1940. Il évoque également Raoul Girardet, intellectuellement actif dans la droite maurrassienne, spécialiste d’histoire militaire et contemporaine, auteur d’un passionnant Mythes et Mythologies politiques au Seuil. Georges Castellan, également professeur d’Histoire à Hoche, fut l’auteur de nombreux Que sais-je ? aux PUF sur les Balkans et l’Europe centrale. En Anglais, Henrion était spécialiste de Shakespeare et de la dimension ésotérique de l’œuvre de Francis Bacon. Kotelnikoff lui-meme a puisé la passion des sciences naturelles auprès d’un groupe de professeurs dont Marcel Oria, Marcel Sire qui fut proviseur jusqu’en 1956 et Simandoux qui était toujours professeur au lycée avant 1968. Ces collègues accomplirent l’essentiel de leur carrière au lycée dans les années 1940 à 1960. Kotelnikoff cite enfin Albert Doucet, professeur de Lettres dans les années 1950, Dagnas en dessin, et rappelle la haute silhouette d’Ithurbide, vêtu de noir et impressionnant, que nous pouvions voir encore avant 1968. Il consacre aussi une page à l’aumônerie, à l’abbé Vandewalle et à la revue Contact.

L’intérêt de ces pages est de faire revivre ces figures magistrales mais bien plus encore le paysage versaillais et les activités des jeunes des années cinquante. Nous sommes peu après la génération de C’était Versailles de François Foucart (Editions de Paris) qui s’attache pour sa part à retracer la vie à Saint-Jean de Béthune, des quartiers de Montreuil, de Clagny et de Glatigny. Ciné club du lycée le mercredi soir, courses en vélo – Kotelnikoff reçoit un huit vitesses en Troisième – création de journaux, activités de bricolage, parties de foot, intérêt aux magazine d’aéronautique : tels sont les activités des jeunes au début de ces années 1950… dans le Versailles des derniers tramways.

Paysages de Hoche au matin des années 1960

Mes souvenirs de Hoche commencent précisément en 1964 avec mon entrée en sixième à l’âge de dix ans. Rien de « folklorique » dans les lignes qui suivent, qu’il ne faut pas distinguer d’études historiques sérieuses ; à la distinction mémoires personnelles – études officielles ou labellisées – nous préférons affirmer notre intérêt pour un vécu global. Les biographies sèches et érudites n’ont aucun intérêt, nous voulons au contraire établir un travail de mémoire, par exemple sur la pédagogie et les professeurs : qui étaient-ils vraiment derrière leurs personnages publics ou derrière les clichés qui figurent sur le Livre d’or des Anciens ? L’objectif principal de l’association doit être le travail de cette mémoire, d’un intérêt humain, culturel et social, considérable.

Je découvris le lycée en mai ou juin 1964, m’étant rendu avenue de Saint-Cloud parcourue par les bus « C barré », sans doute pour chercher la liste des livres – mon inscription une fois faite. Depuis cette avenue éclaboussée de soleil ce jour-là, le lycée m’apparut immense. Car c’est bien l’espace, à la fois immense et harmonieux qui le distingue des autres établissements. Le lycée est à la fois dans la ville et hors de la ville comme ensemble autonome, réparti autour de cours intérieures, de cloîtres propices à la méditation.

Les longs et larges couloirs portent avec eux la grandeur et l’on eut du mal le premier jour à retrouver la sortie… Immenses et impressionnants, ils sont parcourus par les silhouettes imposantes, ou austères des certains professeurs. L’effectif présent au lycée accroît l’immensité et impressionne les sixièmes, tout comme les bizutages des prépas : marches en canard, pyramides humaines, visages marqués à l’encre… De surface égale à celle de très vastes lycées, Lakanal à Sceaux, Grandmont à Tours, Joffre à Montpellier, eux-mêmes vastes et agréables, Hoche a pour lui un « plus » incontestable. Point de cours étriquées ou vétustes, mais de vastes espaces, des bâtiments ouverts sur de vastes perspectives, souvent une architecture d’orangerie en rez-de-chaussée ou de jardin, bien différente de celle d’un « lycée-caserne ». Hoche vu par Kotelnikoff était celui de l’antique gymnase, des vieilles salles de sciences, des vieux tennis côté rue Richaud ; en revanche le lycée que j’ai connu au début des années soixante est marqué par la modernité et les investissements considérables de la décennie précédente. En 1960-1962, le petit lycée, côté boulevard de la Reine est démoli, il laisse place aux bâtiments B et C de l’internat, eux-mêmes conçus en harmonie avec les bâtiments du grand lycée. Déjà, en 1957-1959, le bâtiment A de l’internat est édifié. Ces batiments seront renovés et étendus dans la décennie 1980-1990. Formatrices des élites alors indispensables à l’économie et à l’industrie, les classes préparatoires sont ainsi privilégiées. Le matériel des salles de sciences physiques et de sciences naturelles, comparé à celui d’autres lycées que j’ai connus plus tard, me semble alors considérable. Pour clore ces lignes sur les équipements, rappelons l’existence d’un vaste stade côté boulevard de la Reine, au multiples équipements dont un haut portique peint en blanc  et ed multiples agrès métalliques; ce stade caractéristique de l’EPS des années soixante jouxte une cour qui n’est alors qu’un bourbier les jours de pluie, où les demi-pensionnaires attendent le midi l’heure du déjeuner – les études du midi ne commencent alors qu’en seconde. La cour est séparée alors en deux par un préau vétuste au sol sableux et pierreux. Il disparaîtra au cours des années soixante dix, la cour sera bitumée. Le stade sera converti en simples terrains de sport, ceints d’une piste pour la course à pied. Le portique disparut aussi. Dans les années 60, les investissements éducatifs sont considérables : on se vante de construire un collège par jour et, à l’Ouest de la région parisienne, apparaissent alors de nouveaux lycées : Bascan à Rambouillet, Jehan de Beauce à Chartres en 1966, Rotrou à Dreux sur le modèle Pailleron, Rémi Belleau à Nogent le Rotrou… Au-delà de Saint-Cyr, au début des années 60, il y a peu de lycées, les élèves inscrit à Hoche, et habitant loin, passent pour des « paysans » et doivent prendre , les uns, les trains de la gare des Chantiers, les autres, de vieux autocars soufflant leur gasoil…Quant aux travaux de 2008, ils répondent à l’urgence d’une rénovation immobilière du lycée. Rénovation indispensable pour les bâtiments les plus anciens : couvent de 1772, infirmerie et salle de conférences (1772-1837), bâtiments de l’avenue de Saint Cloud (1807) mais également pour les plus récents  (internat et bâtiments des classes préparatoires , 1959-1962, agrandis en 1984 et partiellement rénovés en 1988). Cette rénovation concerne tous les locaux et espaces internes, plus les façades et la toiture.

A Versailles, Hoche tient le haut du pavé sans que l’on puisse parler de l’élitisme concurrentiel ou de l’enseignement à plusieurs vitesses qui marqueront les décennies suivantes. Marie Curie ouvre à peine, pour les besoins du Bac B, économique avant la création des filières technologiques un peu avant 1968. La Bruyère est le lycée de jeunes filles ; chaque matin, les internes s’y rendent en rangs depuis Porchefontaine, sur le côté de l’avenue de Paris. Jules Ferry est « le technique », il est installé au 14 rue du maréchal Joffre dans ces locaux dont nous parle souvent Sylvain Cassonnet, lui-même ancien de Hoche et professeur à Jules Ferry. Jules Ferry a installé sur le terrain de l’ancienne caserne Denfert (les ex-écuries de la comtesse d’Artois) – tout en conservant le 14 – l’hôtel Letellier, lui-même ancien grand séminaire pendant quelque temps. Pour rester dans le quartier Saint-Louis, Grandchamp ouvre comme lycée en 1969 après avoir été longtemps petit séminaire. Ses anciens professeurs et prêtres sont actuellement logés au 22 rue du maréchal Joffre, comme le Père Guimbert ou le Père François. A L’époque, j’entends un peu parler de la BJ (Sainte-Geneviève) par des camarades dont le père ou les frères avaient fréquenté l’établissement. Et qui évoquent tel bizutage… Quant à Saint-Jean de Béthune, il accueille des élèves dont les familles font souvent le choix de l’établissement par conviction. Durant mes deux premières années d’études à Hoche en sixième et en cinquième, j’eu la même équipe de professeurs (Lagny, Contri, Mme Soulié, Garsuaut, Montigny et Bergeron en sciences naturelles, Thenadey et James Guittet en dessin). Le jeudi est libre, nous ne commençons pas toujours à huit heures, nous achevons à seize ou dix-sept heures, nous travaillons le samedi toute la journée et nous avons quelques heures de permanence. Ce dispositif horaire permet alors de « respirer » dans le travail. J’avais cours tous les jours samedi compris, sauf le jeudi, et je me rendais à Versailles par le bus 171, remplacé parfois les jours de grève par des camions militaires. Les permanences se situent en PI, en PII est l’actuel CDI – avant les grands travaux de 2008 – dans ce qui fut après 68 la salle des professeurs équipée de boiseries – tandis que PIII, au-dessus de l’actuel CDI ou derrière l’entrée du double escalier parallèle à celui du bureau de Monsieur le Proviseur – à l’autre bout du couloir – était l’une des rares salles de l’ancien couvent que nous utilisions alors comme permanence une fois PI et PII occupés, là où étaient les dortoirs, les réfectoires ou les anciennes salles de sciences dont parle Kotelnikoff. Une carte postale de 1904 nous fait reconnaître indubitablement les lieux, équipés de piliers métalliques. A noter qu’avant son installation après 1968, en PII, site de l’actuel CDI, un plafond qui découvre maintenant des poutres derrière la chapelle, la salle des profs donnait au rez-de-chaussée sur la cour vaste cour côté stade. A côté, une salle parquetée était utilisée pour la remise des blâmes ou des félicitations en fin de trimestre. Avec les grands travaux de 2008, le CDI change encore de nouveau de place. Durant ces deux années, l’essentiel des cours se déroulait dans les préfabriqués A, B, C de la cour des Tilleuls côté rue Richaud, à côté des salles d’Histoire-géographie. Le sol était couvert de lino et les locaux chauffés par des poêles à mazout. Dans les années soixante, comme le montre un débat du Conseil intérieur de 1966, la disparition des préfas est à l’ordre du jour mais toujours repoussée sine die. Ils sont présents aussi côté rue de Provence à côté du bâtiment des prépas, et ce fut là qu’eurent lieu la plupart de mes cours en seconde, en 1968-1969.

Mes premières années à Hoche furent marquées par le souvenir de Jean Lagny, professeur de Lettres et de latin, que j’eus comme professeur principal en sixième et en cinquième de 1964 à 1966. Né en 1911 à Neuilly, Il avait été élève en Terminale, en 1928, au lycée Sainte-Croix de Neuilly où j’ai donné moi-même de nombreuses heures de cours et de colles en classes en classes préparatoires HEC à partir de 1985. Selon la biographie communiquée par Jacques Villard, il fut licencié de lettres en 1931, titulaire d’un DES en 1932, il obtint l’Agrégation en 1934. Il avait été prisonnier durant la Seconde Guerre mondiale pendant quatre ans, mais nous l’ignorions. Il enseigna à Hoche de 1945 à 1972. Il avait consacré ses travaux à des activités éditoriales et érudites relatives a Versailles et au poète baroque Saint-Amant. Il passa ses dernières années de retraite à la Maison des sœurs Augustines, et décéda en 2001.

Passant souvent devant cette maison, dans la longue et lugubre rue Edouard Charton, et en pensant parfois à lui, pour aller coller à Grandchamp à partir de 1992, je me décidai un jour à lui écrire, et j’appris ensuite par Jacques Villard, auteur de Versailles à la Belle Epoque et qui conserve les souvenirs du professeur, que la lettre avait été reçue quelques jours après sa mort. Le nombre d’heures de cours en français et en latin est important à l’époque, en sixième classique, et ils se déroulent dans les préfas de la cour à l’Ouest, côté rue Richaud. L’enseignement dispensé par Jean Lagny était à la fois méthodique et intelligent, tout sauf mécaniste, bien qu’il ne répugnât pas à l’emploi de certaines méthodes destinées à l’apprentissage de la leçon et du cours, telle celle du « quart de feuille » ou interrogation expresse en latin, en début de cours, en quelques questions de vocabulaire ou de grammaire. Le personnage était plutôt doux, doué d’autorité et de bienveillance à la fois. Dans l’équipe des professeurs de 1964 à 1966, comptait Madame Soulié, en anglais, épouse d’un collègue de mathématiques à l’accent ariégeois que j’eus en troisième en 1967-1968. Madame Soulié avait commencé son premier cours d’anglais en 1964 par un retentissant « Sit down, please ! » et tout le bénéfice de son enseignement apparut en 1967, l’année suivante avec Madame Saint-Paul en quatrième, lorsque j’eus une bien meilleure maîtrise encore de l’anglais. Il faut rappeler les multiples travaux de Jean Lagny sur Versailles, comme Versailles, deux siècles de vie municipale. Un square versaillais porte son nom. En Histoire-géographie, nous eûmes Henri Contri, né à Tunis en 1925, ancien militaire, agrégé en 1951, professeur au lycée de Tunis avant de venir à Hoche et parti en retraite à Rueil, en 1984. Je l’ai retrouvé en première en 1969-1970 avec en particulier, le cours d’histoire du samedi après-midi que je suivais avec passion. Le cours était à la fois très méthodique et intelligent, comme celui de Monsieur Jamey, l’année précédente en seconde, et comme celui d’Yves Trotignon en Terminale, en 1970-1971, sur lesquels nous reviendrons plus loin. Les programmes étaient alors chronologiques et très lisibles. En sciences naturelles, Jacques Bergeron, entré à l’ENS Saint-Cloud en 1960 et nouvellement agrégé de géologie, nommé ensuite à Hoche, s’imposait à la fois par son dynamisme et la modernité de son profil d’enseignant. A remarquer aussi l’horaire conséquent d’éducation physique deux heures plus deux heures de « plein air » au vaste stade Montbauron, inauguré au début des années soixante, la piscine couverte de 1969 et le bassin extérieur, disparu depuis maintenant trois ans, datant des années 1950. Venaient s’ajouter une heure de dessin avec Thenadey puis James Guitet, lui-même peintre et illustrateur de manuels scolaires comme celui de Richard et Hall chez Hachette (édition 1959). On peut y voir une illustration en orange et noir, d’une famille anglaise « modèle » des années 1950 aux postures rigides, prenant son breakfast à 6 h 30 du matin, avant de partir en vacances. L’heure d’éducation musicale était dispensée par le « terrifiant » Monsieur Lévesque, alternant solfège et auditions, ou par Madame Crouzet, plus « libérale » qui consacrait son cours à l’histoire de la musique. Tout bavardage ou toute rigolade était sanctionné par Lévesque d’un point sur le carnet de correspondance. De ces années 1964-1966, il reste quelques images fortes : la découverte de l’avenue de Saint-Cloud en 1964, au moment de mon premier contact avec le lycée, les files d’attente à la librairie Ruat à gauche de l’entrée du lycée pour se procurer les livres classiques dont les Fables de La Fontaine présentées par René Radouant (première édition 1929) dans les épais petits volumes de l’éditeur Hachette, tandis que le reste des livres était distribué par les soins du lycée le jour de la rentrée en salle PIII, dans l’ancien couvent et proche de la permanence PII évoquée plus haut. La rentrée était aussi marquée par les bizutages des prépas. Le lycée comportait alors toute la gamme des prépas. La corniche de Hoche (classe préparatoire à Saint-Cyr) ferme en 1964, postérieurement à la guerre d’Algérie, à peu près au même moment que celle de Sainte-Geneviève dont on voit les visages sur le site des Anciens de la « BJ », ceux de jeunes gens énergiques austères  et bien convaincus du rôle de la France ; les prépas militaires sont alors recentrées sur Henri IV, Toulon et Nancy. Un document du conseil intérieur, en l’occurrence une lettre du général Borgnis Desbordes, déplore la fermeture de la « corniche ». Quelques grands moments marquaient l’année scolaire comme la remise des félicitations par le proviseur et le conseil de discipline, en l’occurrence précisément Monsieur Pagis – proviseur de 1959 à 1966 – dans une salle voisine de l’ancienne salle des professeurs, dans l’un des longs couloirs du rez-de-chaussée avant le transfert de la salle des profs en PII (actuel CDI en 2006). La cérémonie avait toute la solennité requise. Quant à l’association des Anciens, elle comptait parmi ses activités l’organisation de voyages pour les élèves : avant Venise, ce fut plus modestement Dreux, la Chapelle Royale, le château d’Anet, celui de Rosny sur Seine avec arrêt au lycée Saint-Exupéry de Mantes-La-Jolie, après la découverte de Chartres le matin, et un déjeuner dans le réfectoire glacial du Lycée Marceau (alors dans la partie haute de la ville) à l’allure balzacienne. J’aurais été surpris d’apprendre alors que j’enseignerai plus tard à Chartres de 1988 à 2006. Jehan de Beauce était à peine sorti de terre dans le quartier dit de Rechèvres-a la fois populaire et rural – un lycée moderne et technique que ses plans initiaux avaient doté d’une piscine, comme souvent ailleurs.

L’épisode du vélo surmonté d’un squelette sans doute emprunté au laboratoire de Sciences Naturelles juché en haut de la chapelle de Hoche fit aussi sensation avant 68. Dans le registre des facéties, la Fiat 500 d’un professeur fut hissée en haut des marches de la chapelle. Côté camarades de classe, certains noms restent en mémoire comme Emmanuel Courcier, actuel directeur de La Mie de pain à Paris, William Jacquin devenu professeur d’anglais à Marie Curie et ex-conseiller municipal de Viroflay, Rieu dont le père était inspecteur d’académie, Trotignon parent du professeur d’Histoire au lycée, Philippe Martin, parti comme moi en Irlande du Sud en juillet 1967, et qui fera plus tard Sciences Po, l’ENA, entrera au Conseil d’Etat, et sera plus tard préfet et actuel député fabiusien du Gers. D’autres semblaient déjà destinés à des carrières scientifiques comme François Debout qui m’avait parlé de la BJ (Sainte-Geneviève dont le sigle m’était totalement inconnu à l’époque), ou bien encore Daniel Kahn qui excellait en toutes matières. Pour passer le temps sur ce terrain autrefois boueux qui accueille en 2007-2008 les grands travaux du lycée avec empilement de préfabriqués qui ont succédé à la rénovation du bâtiment scientifique en 2004, Alvaro Legido, un autre Chavillois, et dont la mère , venue d’Uruguay   quelques années avant, était professeur d’espagnol au lycée (comme André Mercier – ancien élève de l’ENS Ulm et auteur de manuels – et Jean Manier), organisait des jeux intellectuels du type de Questions pour un champion, les questions portaient sur l’Histoire, la géographie mais aussi sur les résultats cyclistes…

A la veille de 68

En quatrième, je fis connaissance avec des figures de professeurs familières du lycée comme André Mercier en espagnol, André en Lettres et Brizay en Histoire, ancien aviateur au Tchad et dont les cours étaient toujours ponctués des injonctions : « remarque » et « rappel », dont le cours était passionnant mais dont l’organisation paraissait moyenne aux élèves, Madame Saint-Paul en anglais, dont l’enseignement était à la fois riche, vivant et efficace. Une période heureuse alors s’ouvrit, qui mena à 1968 dont nul n’aurait pu prévoir l’explosion au lycée, à la différence des lycées parisiens marqués par le rôle de minorités actives, même si le mouvement fut très vif à Hoche, lui-même initié au sein des classes préparatoires. En 1967-1968, le « look » des lycéens change. Les deux décennies précédentes signalent des publics scolaires – tels qu’ils sont montrés par exemple par les photos de classes – partagés entre des allures encore enfantines ou bien des adultes en réduction, déjà en costume cravate, à l’image du lycéen versaillais des années 1950. L’ado aux cheveux mi-longs, parfois déjà en jean, en pantalon de velours ou de toile, apparaît un peu avant 1968. D’autre part, le pouvoir politique régnant semble s’affaiblir relativement et, à terme, vers 1967, la succession du Général de Gaulle est posée implicitement. On installe après 1968 des distributeurs de Coca dans le lycée, ce qui avait été contesté par tel collègue – aux positions anti-américaines – quelques années avant. Au lycée, des professeurs, encore bien intégrés dans le paysage des années 1960, dont la photo de l’ensemble du corps professoral prise en 1964 est un exemple, paraissent maintenant « décalés » par rapport à la modernité des sixties. Les méthodes musclées de certains leur vaudraient sans doute de sérieuses difficultés aujourd’hui. Ainsi, « on «  disait que tel prof de maths, cité par le Livre d’or des anciens, faisait régner la terreur. Nous le voyons chaque matin, avec sa blouse grise, avec son béret vissé sur la tête, sa face rubiconde, remonter par tous les temps, sur son solex pétaradant, le long faux-plat de l’avenue de Saint Cloud, jusqu’au lycée.

En costume sombre, aux cheveux argent, de petite taille, tel était René de Crozant dont je découvris qu’il avait déjà été professeur à Hoche depuis 1947, puisqu’il figure sur une photo de l’époque, présentée dans une exposition réalisée sur le lycée en 2001. René de Crozant dispensait un enseignement de facture très classique, et auquel la méthode conférait une allure scolaire certes encore requise en troisième. De même que le programme d’Histoire était scandé chronologiquement, chaque classe comportait à l’époque des études obligatoires de pièces classiques, comme Cinna ou Les Femmes savantes en troisième, Phèdre et Le Misanthrope en Première.

Le français en troisième comportait alors toute l’étude du Moyen Age, que De Crozant suivait scrupuleusement. Si, en quatrième, André pratiquait des interrogations orales rapides en Latin, l’année suivante, je découvris en troisième avec De Crozant des méthodes plutôt « carrées » auxquelles il tenait beaucoup : ordre de présentation de la version latine (construction/traduction/corrigé), interrogations sur les corrigés et corrigé du corrigé, multiples questions littéraires sur des textes que le professeur passait un bon moment à dicter, le moment de l’étude du texte ne venant parfois qu’un mois plus tard. Ces méthodes faisaient régner la crainte, toute version non conforme à la présentation requise était déchirée ; l’élève devait la recopier dans l’ordre conforme. Difficile de connaître la personne privée de De Crozant derrière le personnage public, tant il est vrai aussi que les élèves jugent surtout l’enseignant sur l’apparence physique et sociale. Il accordait beaucoup d’importance à l’expression écrite et était sans doute représentatif d’une large partie des agrégés ou normaliens d’Avant-guerre.

Le personnage central de la période fut incontestablement R. Hausslein, Proviseur de Hoche de 1966 à 1973. Hoche connut nombre de proviseurs : Sire jusqu’en 1956, évoqué par Michel Kotelnikoff, Emanuely (1956-1959), Pagis de 1959 à 1966 – dont une photo figure dans un article du journal Pilote (222) en 1964. Le Provisorat de R. Hausslein fut suivi par ceux de Messieurs Pouëssel (1974-1979), Mosser, de celui de Madame Odette Christienne, devenue ensuite Proviseur du Lycée Henri IV avant Patrice Corre, ensuite celui de Monsieur Jean-Louis Roque (1995-2005) de Monsieur Bernard Roesch , ancien Proviseur au Maroc à Casablanca- comme Gérard Marieau ex Proviseur de Jehan de Beauce a Chartres à Rabat – et parti au Caire en 2008 , remplacé par Monsieur Toussaint de Quièvrecourt, antérieurement à La Bruyère, après Philippe Sémichon, passé ensuite à Chaptal.

Au cours de l’année 1966-1967, R. Hausslein fit adopter un nouveau règlement intérieur dont le texte plus long, plus précis et plus strict que le précédent, figure dans le carnet de correspondance des élèves dans sa version de la rentrée 1967. Il est formellement interdit d’introduire des publications à caractère politique, il est rappelé qu’une circulaire ministérielle interdit l’usage du chewing-gum. Est interdit notamment le port d’espadrilles et de baskets, de pantalons de camping genre « blue-jean ». « On adoptera également une coiffure compatible avec les règles couramment admises de l’hygiène et de la bonne éducation ». Avant 68, une mère d’élève portant les cheveux longs échangea une correspondance polémique avec R. Hausslein, et après 68, l’élève, résidant hors de la circonscription de Hoche, ne fut pas repris au lycée. Toujours dans le domaine de la coupe de cheveux, un élève de Terminale aux cheveux très longs revint un jour tondu par ses parents…

L’équipement sportif est désormais transporté par les élèves dans un sac à coulisse à cet effet. A Hoche, il s’agit d’un short et d’un maillot blanc, de baskets bleues et blanches de type Converse, redevenues à la mode depuis, dans la mode urbaine. Avec cela, nous partions en plein air à Montbauron, dont le stade impressionnant pour nous avait été bâti au début des années 60, ou à Porchefontaine. Dans les années 1960, les professeurs d’EPS ressemblent à Aimé Jacquet, chronomètre en sautoir. Le 17 octobre 1966, R. Hausslein dénonce les absences à répétition, les fraudes et les vols et fait adopter de nouvelles mesures disciplinaires devant le Conseil intérieur, institution antérieure à l’instauration des Conseils d’administration après 1968, comportant la participation des délégués élèves et parents. Dans la formule du Conseil intérieur, donc antérieure à 1968, quinze membres siègent de par leurs fonctions, six sont nommés par le Ministre, plus douze professeurs membres pour les personnels d’éducation, de documentation et de surveillance. Des notables versaillais siègent au Conseil, qui s’excusent souvent de ne pouvoir siéger, vu leur âge ou leur indisponibilité.

Hausslein entend manier l’éloge comme le blâme et, pour ce faire, restaure, au profit des meilleurs élèves, la tradition de la Saint Charlemagne : au mois de décembre un goûter est servi avec chocolat chaud et, quelques temps après, cette festivité prend un lustre supérieur puisqu’un déjeuner fastueux est offert aux mêmes, un samedi midi. Le Proviseur est également attaché à la distribution des prix, dont la dernière édition eut lieu en 1967, un samedi matin éblouissant de soleil, sur le vaste parquet du gymnase, devant des tables ornées de draps blancs et couvertes de piles de livres. J’en ramassai une quinzaine ce jour-là. Après un discours sur l’excellence, le mérite, venait la lecture du palmarès : livre à couverture rouge cartonnée dont le lycée possède une collection depuis les années 1950, ces livres étant disposés actuellement dans une boîte en bois, dans la cave des archives du lycée, étudiées par mes soins en février et en juillet 2006. La lecture de ces feuilles ronéotypées sur les machines à alcool de l’époque, égrenant les noms des meilleurs élèves de l’époque, noms assez célèbres dans le lycée et remontés dans mes souvenirs (Charnay, Genuini…), des classes préparatoires à la sixième, était plutôt fastidieuse. Les intitulés des prix étaient les suivants : prix de félicitations et de tableau d’honneur, prix d’encouragement et de tableau d’honneur, prix d’excellence, prix de tableau d’honneur, prix pour chaque discipline avec plusieurs accessits à chaque fois. La lecture n’éclipsait pas le sentiment de triomphe de fin d’année, sanction et reconnaissance d’un enseignement méritocratique, républicain et sélectif. Encore en 1971, le pied de chaque bulletin comportait la mention suivante : « risque de devoir quitter le lycée ». L’élitisme républicain était fondé sur la valeur des diplômes, au profit des classes moyennes dans un contexte où l’enseignement n’était guère massifié, mais où l’ascenseur social fonctionnait.

Au rang des cérémonies de Hoche figuraient en bonne place les communions solennelles. Dans les années soixante, les communiants se rendent à la chapelle en double file, comme le montre une photo de Philippe de Dieuleveult (J’ai du bleu dans mon passeport, 1984) qui disparaîtra dans les rapides d’Inga au Zaïre en 1985, et dont la brochure de l’exposition organisée par les Anciens en 2001 nous montre les facéties. De Dieuleveult avait été élève de Hoche deux ans avant moi et habitait à Viroflay dans le quartier du Haras, à cinq cents mètres de chez moi. Les documents de Michel Kotelnikoff sur la communion solennelle de 1948 révèlent déjà le même cérémonial.

Des affaires au carrefour de la blague de potache, de la petite délinquance et de la contestation secouent le lycée quand, par exemple, en décembre 1967, trois élèves de la classe de troisième B6 sont sanctionnés pour s’être livrés à de sévères dégradations dans le lycée. Des mesures d’exclusion sont prononcées et l’on s’étonne des agissements de fils « d’honorables familles versaillaises » dont deux sont inscrits aux scouts. Quelques mois après, les bureaux de l’internat sont murés. Les surveillants généraux, à l’époque Messieurs Faggiannelli, Pitzini, Chaumeton et Giraud s’emploient alors à démasquer les coupables. Dans ce contexte pré-soixante-huitard, le proviseur, après avoir téléphoné au père de l’un des trois élèves de troisième, avoue sa déception de ne pas recevoir le soutien attendu des parents .Quant à la fin de l’année 67, elle est marquée, au tout début du mois de décembre par l’assasssinat du jeune Emmanuel Mailliart, âgé de sept ans et élève de saint Jean de Béthune – avec demande de rançon – par un autre jeune : François M… âgé de quinze ans et condamné en juillet 1970 par la cour d’Assises des Yvelines a quinze ans de réclusion (Chroniques judiciaires de Seine et Oise). L’affaire suscite une émotion considérable dans le quartier Clagny-Glatigny. Après avoir assassiné Emmanuel Mailliart le lundi et dissimulé son corps dans le bois de Fausses-Reposes, François exerça un chantage pour obtenir une rançon et fut finalement démasqué le samedi suivant (Paris Match du 16 Décembre 1967).

1968 : crise et agitation

Ce n’est que dans la première quinzaine de mai 1968 que l’agitation éclatera au lycée ; dès lors vont se succéder de manière quasi ininterrompue jusqu’en 1973 environ, distribution de tracts, assemblées générales, et énormes bombages à la peinture sur les murs du lycée avenue de Saint-Cloud, et parfois à l’intérieur, sans oublier les manifestations et fermetures de grilles avenue de Saint Cloud. Quelques mois après Mai, les préfabriqués de la rue de Provence qui conservaient quelques menus graffitis pro Algérie française ou pro Bastien-Thiry, se voient ornés du nom du proviseur dont les deux S permettent un effet graphique et un amalgame provocateur peu original, avec une certaine armée politique du régime nazi. La collection de tracts conservés de 1968 m’a permis de retrouver les moments forts de cette période chaude.

Mon étude des compte-rendus des Conseils d’administration, depuis 1966, conservés par le lycée dans la cave des archives, révèle surtout des débats juridiques sur les modalités de fonctionnement au sein du lycée, des nouvelles instances de participation issues de 1968, ce qui était évidemment déterminant pour l’expression des élèves, sans que les débats idéologiques en soient totalement absents. Outre le règlement intérieur, le régime des sorties, les sanctions, le régime des étudiants des classes préparatoires, les débats du Conseil d’administration portent la trace des « affaires » successives qui vont jalonner la vie du lycée en 1968 et au cours des années immédiatement postérieures. Décembre 1968 est marqué par la grève des prépas ; janvier 1969 par des débats sur le droit d’affichage et d’expression. En décembre 1968, le Conseil d’administration débat du droit de réunion, celui d’affichage de diffusion de tracts et de journaux, alors interdite sous l’appellation de « brochure de propagande ». En juin 1970, l’affaire de Philippe Bensignor concerne précisément une distribution de tracts. La venue du Président Nixon à Paris en février 1969 est marquée par d’énormes bombages à la peinture ; au cours de l’un de ces bombages, impasse Pilâtre de Rozier près de la gare Rive Droite, trois élèves, Guidicelli, Leverrier et Robinet essuient un tir de la police; l’un est blessé au dos, l’affaire crée une vive émotion dans le lycée. En mars 1969, le Conseil d’administration examine la question du déroulement des conseils de classe où certains professeurs sont contestés par les délégués des élèves, un sujet sur lequel nous reviendrons plus tard, à propos de l’analyse de Michel Jeufroy, professeur de Lettres, dans le journal lycéen Graffiti. Mais le sommet de l’agitation est sans doute atteint en février 1971. Le 9 février 1971, un jeune d’un mouvement d’extrême gauche, Vive la révolution, Richard Deshayes, reçoit au cours d’une manifestation une grenade en pleine figure ; au même moment, Gilles Guiot, élève en Maths Sup au lycée Chaptal, est interpellé par erreur à la sortie d’une colle de prépa au lycée Chaptal, passe le lendemain de flagrant délit pour violences à agent et port d’armes, et est condamné à trois mois de prison ferme. Quatre cents personnes, élèves et professeurs de Hoche se réunissent le lendemain devant la chapelle pour le vote d’une motion de solidarité. Trois jours après, la police évacue avec force le Sacré-Cœur, occupé par des fidèles inhabituels du groupe Vive la révolution. L’un d’entre eux, élève en Terminale littéraire à Hoche, est gravement blessé par la police. Il y a quinze blessés graves. L’ampleur de la mobilisation aboutit à l’acquittement rapide de Gilles Guiot. Cela fit autant de bruit que la mort de Pierre Overney quelques années après ou que celle de Gilles Tautin disparu dans la Seine près de Flins en juin 1968 .

Les activités culturelles du foyer socio-éducatif permettent une exposition sur la faim et le développement en Afrique, et la question est naturellement posée de réunions politiques au sein du lycée. En avril 1970, un débat est prévu entre J. P. Palewski, Pierre Durand et un certain Michel Rocard qui apparaît alors comme le rénovateur de la Gauche grâce au PSU avant d’incarner beaucoup plus tard l’aile modérée du PS. Un an avant, Rocard avait concouru à l’élection présidentielle. A l’occasion du centenaire de la Commune de Paris fut projetée à Hoche l’organisation d’une conférence – dans le cadre des activités d’information politique du foyer – du professeur Henri Lefèvre, de l’Université de Nanterre. Dans une lettre du 29 mars 1971, R. Hausslein met en garde H. Lefèvre contre les risques d’une telle célébration. « Je ne puis tolérer qu’une poignée d’agitateurs mettent le trouble dans mon établissement en utilisant les démarches en apparence légitimes et même prometteuses. C’est pourquoi, Monsieur le Professeur, je verrais avec déception que vous acceptiez de venir parler au lycée Hoche, si je ne vous en faisais pas moi-même la demande au nom de la Commission permanente du lycée et non pas d’un comité de lutte qui n’a aucune existence légale dans mon établissement ». Dans le domaine du spectaculaire et du symbolique, il faut rappeler cette cérémonie du 11-Novembre où R. Hausslein avait fait lire par des élèves la liste des Anciens morts pour la France, et ceci dans la cour d’Honneur devant la chapelle. La cérémonie fut interrompue par de jeunes militants d’extrême gauche aux cris de « Mort pour le capital ! », en réplique à « Mort pour la France ! ». Blême, R. Hausslein conclut alors sèchement d’un « Messieurs, la cérémonie est terminée ! ».

Les tracts distribués à la porte du lycée donnent un écho très polémique à l’ensemble de ces affaires, le propre de l’agitation, de la guerre des idées étant de discréditer l’adversaire, de soulever l’opinion, dans le cycle bien connu : provocation, répression, appel à la solidarité. Les rassemblements devant la chapelle, les prises de parole en assemblées générales paraissent alors spectaculaires aux plus jeunes élèves, la politique ayant fait irruption dans le microcosme de Hoche, « hors de la ville » et de ses remous, comme nous l’expliquions au début. En fait républicain et laïc, mais que les contestataires de 68 tentèrent de faire passer pour un réactionnaire, R. Hausslein était attaché à la sérénité des études et il était également ainsi urgent pour lui de tenir ce lycée, de rang et d’enjeu égal à celui des grands établissements parisiens. D’où les menaces d’exclusion ou de passage en conseil de discipline, comme le montre un tract dans l’affaire d’Abdel Boudemagh, sur laquelle nous n’avons pas disposé d’information et que nous n’avons pu précisément dater. Ces tracts eux-mêmes apparaissent comme des productions locales parfois signées Comité de Lutte, UNCAL ou Rouge (journal de la JCR), ou bien alors il s’agit de tracts nationaux, de la Ligue Communiste, de Vive la révolution, de La Cause du peuple, de L’Idiot international ou bien de ceux de L’Alliance des jeunes pour le socialisme et des Cercles lycéens (AJS) dont les pétitions s’emploient à mettre en cause « l’exploitation capitaliste » et la bureaucratie stalinienne beaucoup plus que les parents ou les professeurs comme le font d’autres feuilles à tonalité libertaire. L’AJS était un mouvement trotskiste lambertiste ancêtre du PCI et du PT. A droite, les monarchistes de l’UNLAC (le sigle de l’UNCAL à l’envers) puis les étudiants de l’UNI, après 1968 diffusent aussi leurs feuilles  jusqu’en 1975 environ. Nous possédons toute la collection de tracts distribués à Hoche, ouverte à qui veut les consulter (voir en fin d’article).

Les grandes affaires postérieures à 1971 secouèrent Hoche comme les autres lycées ; ainsi la mort du militant maoïste Pierre Overney en 1972, ou bien la réforme Debré des sursis en 1973, dernière mobilisation de vaste ampleur dans le contexte post-soixante-huitard. Des collègues réagissent à l’actualité politique ; l’un vient avec un crêpe noir à la mort du général de Gaulle en 1970, tel autre accède à une demande d’élèves d’une minute de silence, en solidarité avec les condamnés du procès de Burgos en 1971. La collection des Nouvelles de Versailles conservée par la bibliothèque municipale contient des échos de l’agitation de 1968. Plus tard, en novembre 1991, une opération commando fut menée par des jeunes de l’Action Française contre la pose, dans une cour à gauche de la chapelle, d’un buste du général Hoche – offert par la République d’Irlande – né à Versailles en 1768 et qui avait monté en 1795 une expédition maritime pour libérer l’Irlande de la tutelle britannique. Le discours de Paul-Louis Tenaillon, président du conseil général fut alors interrompu, mais ce ne fut là qu’un incident propre au microcosme versaillais.

La virulence des partisans de 68 avait pour réplique l’énergie prêtée à R. Hausslein, inégalement visible sur le terrain. Néanmoins, Mai n’a pas profondément atteint le lycée, compte tenu du fait qu’une forte minorité de ses professeurs n’était pas favorables aux idées de Mai. Certains poursuivirent les cours au moment de la grève et, tout au long de la décennie qui suivit 1968, les autonomes, rapidement affiliés à la CNGA, puis le SNALC à partir de 1978, obtiennent autour de quarante pour cent des voix à l’élection du Conseil d’administration. Avant 1968 au Conseil intérieur, puis ensuite au Conseil d’administration, de nombreux collègues de diverses appartenances syndicales se sont investis dans la vie de l’établissement. Dans le désordre et au fil des notes prises aux archives : Messieurs Péchenart, Cloet qui devint ensuite Proviseur à Jules Ferry, Jeufroy, Grill, Forlot, Lhote, Baeckelandt, Barnier, Canal, Merland, André, Bataille, Brizay, Portier, Madame Linick, MM. Trotignon, Contri, Diagana, Lhote – responsable du Foyer puis professeur à Henri IV – Scotto, Madame Lefeuvre, Messieurs Bergeron, Eyquem. Nos lecteurs pourront retrouver tous les noms connus, remarqués aux archives ou sur le livre d’or des Anciens à la fin de cette étude, sans que cette liste puisse prétendre à l’exhaustivité.

Un enseignement cultivé et critique
Ayant choisi une voie littéraire conforme à mes aptitudes, j’eus la chance de bénéficier d’une solide culture générale à Hoche entre 1969 et 1971 par une meilleure maîtrise des textes et des idées en début de première, ce qui a facilité la situation en classes préparatoires au lycée Henri IV de 1971 à 1973. La réussite en prépas et aux concours est largement tributaire en effet de ce qui précède.Je commence d’ailleurs à m’auto prescrire des manuels littéraires du premier cycle de l’enseignement supérieur La Terminale littéraire TA I de 1970-1971 ne comportait qu’un petit effectif, dont Guillaume Garnier, qui devint ensuite élève de l’Ecole des Chartes après un passage en classe préparatoire à Henri IV, pour devenir plus tard conservateur du Musée de la mode et du costume à Paris, Guillaume Garnier décéda prématurément en 1989 d’une grave maladie.

J’ai tiré le meilleur bénéfice du cours de Michel Thiériot en Philosophie, d’Henri Contri en Histoire-géographie et d’Yves Trotignon dans la même matière en Terminale, et surtout de ceux de Michel Jeufroy. Arrivé au lycée en 1965, apparaissant sur une photo de classe de Première C en 1967, Michel Jeufroy était né le 27 septembre 1932, avait obtenu sa licence en 1954-1955 et obtenu l’Agrégation en 1964. Il avait servi à Basse-Terre en Guadeloupe de 1959 à 1961, puis dans la région Rhône-Alpes, à La Mure en 1961-1962 et à Vienne en 1962-1963 ; il avait complété ses études par un DES de Philosophie en 1955. Il nous était naturellement inconnu lorsque nous étions en premier cycle, même si des collègues enseignaient dans les deux, l’établissement n’ayant pas encore effectué la partition lycée-collège comme la plupart des autres, d’où les débats fréquents sur ce point. Tout comme Henri IV, il comportait même autrefois un « petit lycée » pour le primaire, dont les bâtiments ont été démolis côté boulevard de la Reine, avant la construction de l’internat. Michel Jeufroy enseignait à la fois en Première, Terminale et en classes préparatoires HEC, jusqu’en 1981 réservées aux seuls bacheliers scientifiques. La récurrence des commentaires élogieux à son sujet sur le livre d’or des Anciens, encore trente ans après, montrent le caractère impérissable des souvenirs laissés et des regrets au moment de son décès en 1996 à la suite d’une longue maladie. Pour autant, l’équipe des Lettres de l’époque était brillante avec Diagana, Lhote, Barnier, Péchenart, Charra, Thote… mais l’éclat de l’enseignement de Jeufroy éclipsait le reste. Il est bon de connaître les mérites de tous sans céder aux jugements faciles du Livre d’or, sur certains collègues de Mathématiques, même si certains ne semblaient en effet travailler que pour les meilleurs. Sans rien céder à la rigueur et à l’efficacité, l’enseignement de Jeufroy manifestait son originalité par les bons mots du professeur – qui savait remettre à leurs place les élèves agités sans excès, tel cet original qui s’était introduit dans son cours accompagné d’une poupée gonflable grand format – et aussi par son indépendance intellectuelle et son esprit critique face aux pouvoirs et aux idées établies. Ses formules brillantes faisaient mouche. Plusieurs collègues l’ont bien connu, comme Madame Perret-Gentil, professeur de Mathématiques en prépas à Hoche et à Grandchamp. Il portait des costumes de classe et roulait en BMW, ce qui contrastait avec les pardessus gris d’autres collègues ou avec leurs cylindrées plus modestes, garées dans la cour d’honneur du lycée. Il sortait des « vannes » éblouissantes sans que cela ne vienne parasiter le cours. Il était à la fois reconnu par les élèves, dont certains ne manquaient ni d’esprit ni de culture, par les parents exigeants et par l’Inspection qui connaissait ses hautes qualités de latiniste et d’helléniste et qui était sensible à la culture dispensée. Comme il enseignait en prépas, nous bénéficiions d’un retour positif de cet enseignement à notre plus modeste niveau. L’enseignement des Lettres des années 60 et ceci jusqu’à la fin du siècle, était très directement adossé à la philosophie et à l’Histoire, sans se limiter à des apprentissages mécanistes de figures de style. Les textes étaient des espaces de pensée. En première, nous vîmes Montaigne à la lumière des morales antiques, Pascal, les Lumières, le romantisme, tous les mouvements littéraires avaient été parfaitement dominés. Michel Jeufroy avait le souci de faire vivre la culture antique mais aussi de nous présenter la pensée la plus contemporaine, Sartre, Camus, Malraux et aussi les sciences humaines de Lévi-Strauss – qui avait commenté Rousseau dans Tristes Tropiques – et qui a atteint le 24 novembre dernier (2014) sa centième année, lui-même ancien élève de Hoche. Il était très familier de ses textes par le travail de contraction en HEC : il évoquait souvent ses propres maîtres, et aussi les études supérieures qui nous attendaient. Personne ne manifestait à l’époque, devant cet enseignement humaniste et ouvert, ces réactions d’aujourd’hui, d’un utilitarisme borné, du type : « Il raconte sa vie ». Ses commentaires de textes étaient efficaces tant intellectuellement que stylistiquement et il ne cédait ni à la dictée intégrale des notes de son cours ni au monologue inorganisé et inefficace. Il fait partie de la mémoire versaillaise tout comme aujourd’hui Frédéric Laupies ou Emmanuel Caquet, professeurs en classes préparatoires EC.

En philosophie, Michel Thiériot nous faisait cours quatre fois par semaine de 8 heures à 10 heures, pratiquait une méthode maïeutique pour faire parler les élèves, d’où d’interminables silences de plusieurs minutes. Ses « plats » principaux étaient la morale et le devoir, à la lumière de Kant. Travaillant en profondeur la matière, je pus décrocher un 18 en philo au baccalauréat. En Histoire, Yves Trotignon enseignait en terminale littéraire ; né en 1923, agrégé en 1949, il fut nommé en classes prépas en 1961 et fit partie de ceux qui marquèrent à Hoche les années 60 tout comme Legrand, professeur de philosophie décédé en 2003, Château également philosophe évoqué par Kotelnikoff, Laborderie, Lortholary, Castellan avaient pu marquer la décennie antérieure. Attentif aux conditions humaines, sociales, politiques et idéologiques des faits économiques, il fut l’auteur de nombreux ouvrages sur le monde contemporain qui firent date, comme ceux de Mathiex et Vincent chez Masson à la même époque, avant l’avènement de la collection Major aux PUF, apparue en 1993. Michel Jeufroy s’était particulièrement investi dans la vie du lycée puisqu’il fut déjà présent au Conseil intérieur en 1967-1968. Tout à fait conscient des orientations contestables du mouvement de Mai, il avait publié un article dans le bulletin des élèves, Graffiti, où il développait une analyse critique à l’encontre des délégués d’élèves qui tendaient à transformer le conseil de classe en tribunal jugeant les professeurs, alors même que la finalité officielle de ce même conseil, fixée par décret, est d’évaluer le travail et les résultats des élèves, sans jugement pédagogique sur l’enseignement reçu.

Dans un autre registre, il avait invité sans difficulté l’abbé Rouillard, de l’aumônerie où il travaillait en binôme avec l’abbé Xavier Boog, aujourd’hui prêtre en vallée de la Seine près de Mantes-La-Jolie, à venir parler du problème du mal à propos de La Peste de Camus. Il subsiste à l’Evêché de Versailles aux archives gérées par Madame Botton et le Père Durotois quelques documents de l’aumônerie de Hoche animée par les pères Vandewalle et Venard avant Xavier Boog et Vincent Rouillard récemment décédé. Les numéros de la revue Contact, publiés par l’aumônerie, montrent un esprit en phase avec son temps, sans tomber dans le style copain. L’esprit d’unité de la jeunesse semble bien présent dans la revue dont les positions ne semblent pas conditionnés par les clivages progressistes-traditionalistes. On y trouve outre les activités religieuses attendues, un répertoire des activités pour jeunes des mouvements catholiques des années 60-70 : Chartres, Montmartre, réunions des prépas, camp scout dans les Cévennes, descente de l’Allier en radeaux construits sur place, des activités ouvertes sur la société et sur le monde, comme tel camp chantier de la JEC en Haute-Savoie, visites aux personnes âgées, lavage de voitures pour collecter des fonds pour le Tiers-Monde, participation aux activités du mouvement Pax Christi, journées d’apostolat sur les plages en 1962, débats sur les questions éducatives, sur l’amour, la violence… Contact accorde des rubriques importantes à ce qui intéresse les jeunes comme le sport à Hoche, ou bien encore le cinéma (Arthur Miller, Cayatte, Bergman, Lelouch, Antonioni, Raoul Coutard), la littérature (Cesbron est à la mode, Ray Bradbury) sans oublier la musique avec Pink Floyd. Benoît Feller, l’un de mes condisciples en Terminale, auteur d’un livre sur Eric Clapton, avait écrit dans Contact un texte sur Jimmy Hendrix. Le même se plaisait à des joutes oratoires avec Jeufroy… Les rockers de l’époque passaient au cinéma Le Kursaal – actuellement Le Roxane rue Saint-Simon – avant L’Olympia. L’étude rétrospective des numéros de Contact montre une réelle ouverture de la revue sur son temps, sans démagogie pour autant. Sensible à l’indifférence religieuse, le Père Rouillard était aux antipodes d’une Eglise-ghetto pour quartiers « bien habités » et microcosme sélectif BCBG ,et avait poursuivi son travail les années suivantes par de l’évangélisation sur les marchés…

Mai comme pseudo-révolution ?

A Hoche où les professeurs pouvaient faire carrière avant de venir enseigner parfois à Paris comme Bernard Lhote à Henri IV, l’enseignement était gratifiant pour tous comme le montrent les correspondances que j’ai pu entretenir avec Yves Trotignon, plusieurs années après mon départ du lycée. Le contexte restait humain, bien des élèves étaient peu travailleurs, même s’il apparaissait clair que bien d’autres, notamment en filière scientifique, avaient déjà pour but les classes préparatoires scientifiques et les écoles d’ingénieurs les plus prestigieuses. Pour autant, les lycées n’étaient pas engagés dans la compétition rentabiliste aujourd’hui observée à la loupe par les parents, dans les classements des lycées par la presse. On y bénéficiait du plaisir d’enseigner et d’y être enseigné même si des échos défavorables s’attachaient à certains professeurs avec 68, en Mathématiques ou en Langues parfois… A ce lycée est attachée l’idée d’un enseignement classique, intelligent et libéral à la fois ; les débats idéologiques y ont été moins vifs après 1968 que dans de nombreux lycées parisiens. Comme ailleurs, 68 a été inattendu à Hoche et, en même temps, a induit ou révélé des clivages décisifs pour la suite. Dans son héritage libertaire et hédoniste, converti dans les années 80 en « génération morale » plus conformiste que la société des années 1960, Mai, comme « pseudo-révolution », a produit des effets sensibles sur les modes vestimentaires des lycéens. L’allure des lycéens a évolué : jeans ou pantalons de velours, vêtements récupérés de surplus américains, chaussures clarks modèle Wallabee…, cols roulés, port de tissus colorés ou synthétiques, de Ray-Ban, de lunettes argentées… pattes d’éléphant, larges revers des vestes…, cheveux mi-longs… sans oublier les cheveux jusqu’aux épaules ou bien les coupes rasées révélant l’appartenance politique. Ces coupes étaient plus rasées que les cheveux plutôt tondus des jeunes Versaillais d’avant 68. Les contestations mineures sont intégrées par la société de consommation et l’on passe de la France traditionnelle à celle du jean et du Coca Cola. On prend un pot au café Le Coq hardi en haut de la rue de la Paroisse à côté du lycée, on joue au flipper, on fume une cigarette et on part en vacances en stop, on fait du camping sauvage dans une société qui valorise la liberté de mouvement. Vécu comme une surprise à Hoche, vecteur de nouveaux clivages décisifs au plan national, 68 fit que rien ne fut tout à fait comme « avant » au lycée. C’est l’époque, des impers verts, du synthétique, du coloré et du fluo, comme le remarque Les Mouvements de mode expliqués aux parents (1984)

Après les calmes apprentissages des premières années, est venu le temps de la culture et des idées, les perspectives historiques et critiques ouvertes et enseignées par Jeufroy, Thiériot, Trotignon… Les années passent mais les souvenirs restent vivants, tout comme l’attachement à ce lieu de mémoire qu’est le Lycée Hoche.

Amitiés, ambitions, rivalités : le lycée a toujours contribué à former de fortes individualités

Gilbert GUISLAIN, ancien élève du lycée Hoche (1964-1971)
Professeur de Lettres
Ancien élève ENS Saint Cloud et IEP
Contact : gilbertguislain[at]hotmail.com

Tous nos remerciements à ceux qui ont permis, par leur aide concrète, la réalisation de ce document :
Sabrina HAMADOUCHE, Assistante d’éducation au lycée Grandchamp (2006-2007),
Michel KOTELNIKOFF, ancien élève du lycée Hoche (1943-1956),
Le service des Archives de l’Evêché de Versailles,
Yves RAMETTE, CPE au lycée Hoche, chargé des classes préparatoires,
Bernard ROESCH, Proviseur du lycée Hoche,
Bertrand DEVYS pour ses précisions sur l’affaire Malliart
Thierry MOTA, fidèle collaborateur depuis dix ans pour la réalisation de nos ouvrages de culture générale,
 
Merci également à ceux qui ont permis, par les échanges et les conversations, de croiser et d’élargir les informations : Philippe Capelle, Sylvain Cassonnet, Martial Fabre, William Jacquin, Jean-François Mollard, et de nombreux autres anciens… que ceux qui ont été oubliés nous excusent .

Hommage est rendu à Madame Marie-Louise Mercier-Jouve, professeur honoraire de lettres, pour son étude d’ensemble sur le lycée.

En annexe, liste non exhaustive des professeurs du lycée dans la période étudiée. Quelques autres noms figurent a la fin de chaque rubrique pour la période postérieure.

  • Philosophie : Messieurs Thiériot, Martin, Malville, Pajot, Guyon, Mesdames Linick et Beigbeder
  • Lettres : Mesdames et Messieurs André, Barnier, Bessières, Charra, De Crozant, Diagana, Havre, Ithurbide , Jeufroy, Laborderie, Lagny, Muller, Péchenart, Thote, Tiger, Vincent, Weiss , Perrot, Rondin, Brive, Lécuyer, Jourdain, Chezlepretre, Gambier, Mercier , Pianello -Lacheteau, Le Grandic, Zemmour
  • Histoire et géographie : Messieurs Brizay, Cloet, Contri, Jamey, Lefeuvre, Lhoste, Pasdeloup, Persinette, Rio, Taguel, Trotignon, Volatron, Madame Mauras
  • Anglais : Mesdames et Messieurs Bataille, Baekelandt, Genet, Guitteny, Gillier, Henrion, Longuenesse, Martineau, Rocher, Soulié, Saint Paul, Vivey .
  • Allemand : Ferber, Helmer, Le Thiec, Merland, Saget, Strich .
  • Espagnol : Messieurs Mercier, Manier, Batifol, Mesdames Cobo, Prats
  • Italien : Madame de Suremain
  • Mathématiques : Mesdames et Messieurs Destouches, Ferré, Garsuault, Grill, Lanoizelée, Lefeuvre, Le Thiec, Malézieux, Portier, Rostane, Soulié, Perret Gentil .
  • Physique Chimie : Mesdames et messieurs Canal, Gillier, Lepreux, Rousseau, Tiger
  • Sciences Naturelles : Messieurs Bergeron ,Montigny
  • Musique : Madame Croutzet, Monsieur Levesque
  • Dessin : Messieurs Guittet, Thénadey, Mesdames Renollet, Rouxel
  • EPS : Messieurs Causse, Couturier, Demichy, Drevon, Etienne, Eyquem, Forlot, Fraudin, Gillot, Godard, Poirée, Rochas, Scotto, Schons, Vernier.

Gilbert Guislain (1971), élève du lycée Hoche de 1964 et 1971

 
 
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(16) commentaires

  1. Interne de 1954 (en classe de 6eme ) à 1962 (Math’elem).
    je suis prêt à partager mes connaissances sur cet internat d’autrefois.
    le Lycée Hoche vu de l’intérieur.

    un rescapé.
    SF

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  2. J’ai été élève du lycée de 1934 à 1946 , comme externe.J’ai connu le « Petit lycée », puis le « Grand Lycée ».J’ai commencé en 11è et j’en suis sorti en « philo »:un cycle complet.Je vais rassembler mes souvenirs et les transcrire pour aider à remonter le temps de quelques années.
    Amitiés à tous.
    Guy Vidal

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  3. Merci pour ce travail. Beaucoup de bons souvenirs. Quelques noms qui réveillent le passé.
    En découvrant cette présentation, je me sens à la fois tout petit, et heureux d’être passé par là, de 1969 à 1972.

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  4. A l’attention de Mr Gilbert Guislain
    Monsieur,

    Vous me citez dans votre livre en faisant référence a ce que vous appelez « l’affaire Abdel Boudemagh  » sans donner plus de précision ou plutôt en laissant sous entendre je ne sais quelle infamie.

    Permettez moi de vous faire remarquer que le proviseur Hauslein ,que vous semblez tenir en haute estime, a été contesté à la fois par l’académie de Versailles que par le conseil de classe dans sa volonté de vouloir m’expulser sous prétexte que j’ai passé et réussi le baccalauréat A en Première ( Baccalauréat obtenu en candidat libre dans l’académie de Paris) et non en Terminale . A cette époque j’étais au début de Terminale D.

    Pour la petite histoire, Il s’agissait d’un pari avec mes camarades de première à cette époque. Pari d’ailleurs réussi avec la mention Abien.

    Le proviseur Hauslein s’est comporté de l’avis même des professeurs du conseil de classe de manière irresponsable sans tenir compte de l’avis du conseil de classe.
    L’académie de Versailles s’est opposée à sa décision en me permettant de suivre ma scolarité jusqu’au bout pour passer le baccalauréat D car je voulais faire médecine pour devenir chirurgien ce que je suis aujourd’hui.

    Je tiens à rendre hommage aux élèves du lycée Hoche pour leur soutien indéfectible et leur combat ( tract et grève des cours…) pour ma réintégration qui fut effective dix jours plus tard.

    Je me tiens à votre disposition pour toute information utile.

    Avec mes salutations les meilleures.

    Dr.med Abdel Boudemagh
    Neurochirurgien

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    • Salut Abdel
      Très heureux d’avoir eu de tes nouvelles ce soir et d’apprendre que tu avais eu le bac en 1ère A , que moi j’ai loupé à l’époque si tu te souviens. Mais celà ne nous a pas empeché de continuer à agir en terminale avec un 3ème camarade Leymari disparu de la circulation. et comme toi continuer et faire médecine ensuite.
      Tchao

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  5. Dominique Joubert

    Raymond Hausslein fut mon grand père bien aimé. Il fut aussi permissif avec ses petits enfants qu’il était intransigeant avec ses enfants et ses élèves…mes souvenirs éblouis d’enfant du lycée Hoche, l’appartement de fonction avec ses parquets lambrissés ses moulures et ses lustres étincelants restent vivaces dans ma mémoire et représentent une période de bonheur absolu…bien cordialement

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    • Merci pour votre témoignage qui donne un coup d’oeil sur les coulisses . . . Pour 68 à Hoche, notre camarade Michel Rémond a constitué une brochure de souvenirs que je tiens a votre disposition. Nous avons fait une reunion avec lui le 7 Juin au franco belge rue de la Pourvoierie à Versailles sur le theme Etre en lycee à Versailles en 68 . Nous la réeditons, pour notre association le Forum de la culture générale ,le jeudi 18 Octobre à 20h 15 . G .Guislain 07 87 55 17 58
      gilbert.guislain@gmail.com Prof de lettres et de philo en prepas -honoraire-

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  6. La réunion du Forum de la culture générale sur les relectures du passé, sur 68 et Hoche, (mémoires collectives..).aura lieu non pas le 18 Octobre mais le jeudi 15 novembre 2018, même lieu: franco-belge 3 rue ed la Pourvoierie Marche ND Versailles, même heure: 20 h 15 , mêmes intervenants cf mail précédent
    Catherine Masdupuy, J.Ph Chauvin, prof à Hoche, G. Guislain et E Akamatsu .
    Gilbert Guislain gilbert.guislain@gmail.com 07 87 55 17 58

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  7. Jean Pierre Naugrette, ancien de Hoche au début des années 1970 , consacre plusieurs pages de son livre l ‘Aronde et le kayak -,edition des deux soeurs- au lycée -pages 114 à 118- et un peu plus loin page 190 , a James Guitet , professeur de dessin .
    Temoignage vivant et passionnant sur toute une génération et immersion dans le monde des jeunes des années 1960 1970 .
    Gilbert Guislain

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  8. Je parviens à partir d une recherche sur Google sur une notice biographique relative à Max Longuenesse professeur d’anglais a Hoche de 1959 à 1971 qui met en relief son engagement syndical . Et ses choix d idees. Cette notice présente un interet generationnel evident et contribue a la mémoire du lycee.
    Pour la lire il suffit de chercher sur Google Longuenesse Max Maitron le  » Maitron  » est une encyclopédie du mouvement ouvrier

    .

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  9. Les prepas scientifiques ont pour nouveau thème annuel 2020 -+2021 : la force de vivre avec trois œuvres en appui; a Hugo les contemplations 4 et 5 Nietzsche le Gai Savoir et Svetlana Alexievitch ( prix Nobel ) la Supplication sur l’ère soviétique post Tchernobyl.
    Un exemplaire sera remis au CDI de Hoche comme chaque année; le livre a pour co auteurs france Farago Etienne Akamatsu et G G .Il permet comme d autres livres édités sur le même thème de se cultiver au-delà du cours. Livre édité chez Dunod.

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